Chaos E.T. Sexual le trio parisien gangsta-doom comme ils se définissent, vient de sortir son troisième album, intitulé Only Human Crust, chez Chien Noir.
Après La Française des Jeunes et son clip militant, c'est au tour de Asile de nous rappeler que la musique peut être porteuse de message forts.
Rencontre avec un groupe plein de convictions.
Chaos E.T. Sexual n'est pas un nom de groupe des plus évidents, d'où vient-il?
Yves "Chaos":
Ca vient d'un pote bolivien qui nous a raconté que, en Bolivie, quand on a un peu d'embonpoint, cela n'est pas lié à la bière ou à la bouffe, mais que c'était de la calosité sexuelle, qu'à force de pratiquer l'acte sexuel ils en avaient de la corne qui poussait sur le ventre. Ils appellent ça "callosidad sexual". On a un peu dévié le nom, on a gardé la sonorité du mot, et on a mis des pseudos, des mots qui nous correspondaient bien, et voilà.
Thomas "E.T.":
Les 3 surnoms nous correspondent plutôt bien. Tu as Chaos aux grosses guitares, E.T. aux sons post-rock avec plein d'effets, et tous les trucs indus et un peu plus bourrins et sexuels, c'est Sexual. Tu connais les 2 versions, selon qui est en face on raconte l'une ou l'autre des versions, ou les deux.
En écoutant le disque, on entend de la guitare, des machines, et également de la batterie, ce qui n'était pas le cas dans les albums précédents. Comment ça se mélange, tout ça?
Tarik "Sexual":
Cet album est un peu différent. Avant on composait en vue de faire des concerts très rapidement. On avait des riffs chacun de notre côté, mais on les a vite mis de côté pour avoir de quoi faire un live. Pour cet album, on a pris le temps. On habite ensemble, on a joué beaucoup ensemble, beaucoup d'impros, et comme on est dans une maison où on peut faire du bruit, on en a profité pour ajouter la batterie. C'est venu assez naturellement. On voulait aussi garder le côté indus, avec des beats, donc on a mélangé les deux.
Yves "Chaos":
Cet album est un patchwork. On a essayé plein de recettes différentes, pas une seule identique à une autre, et donc chaque morceau a une histoire, un hasard...
Thomas "E.T.":
Chacun a apporté un riff. Mais surtout on a beaucoup joué ensemble, pour faire évoluer. Il y a des morceaux avec 25 versions, on est peut-être allé un peu loin dans le truc pour être vraiment content. Il y a aussi des morceaux venus d'impros. On enregistre toutes nos impros, on a des heures d'enregistrement, et on coupe, on prend des riffs, et puis séparément on prend des idées, puis on remélange le tout en répétition. Une fois qu'on a posé ça, on rajoute plein de couches, des samples, tout ça, et voilà.
Le résultat est très atmosphérique, les tempos sont bien au fond du temps, bien lourds. La transcription entre ces ambiances "chape de plomb" et ce que sera la tournée lorsqu'elle pourra avoir lieu est déjà dans vos têtes?
Tarik "Sexual":
La partie live se fait en même temps qu'on compose. On joue tout, on fait tourner les patterns, on ajoute des trucs, et on enregistre. Puis il y a toujours une couche quand on mixe l'album qui rajoute des nouvelles perspectives. En ce moment on essaye de retranscrire ce qu'on fait sur CD, sachant qu'en live c'est toujours différent. Il y a du risque, de l'énergie en plus. Le disque est plutôt immersif, et en live il y a ce côté imparfait. Les betas permettent d'avoir une assise rythmique, mais ce n'est jamais figé, les parties peuvent être plus courtes, plus longues...
Thomas "E.T.":
Même Tarik, avec les machines, ce n'est pas "play". Tout est déclenché, tout est joué live. Même quand on ramène des vidgets, des gens qui projettent des vidéos, ce n'est pas un film, ce sont des gens qui sont sur scène à côté de nous, et qui ont des outils pour faire des interactions live. Quitte à ce qu'il y ait des imperfections, on préfère ce côté live à quelque chose de millimétré. On se sent plus sur ce truc plus humain. On vient du hip-hop indus, mais le côté froid, martial de l'indus, on ne s'y reconnait pas trop.
Les seuls textes de l'album sont des samples, que racontent-ils?
Tarik "Sexual":
Le premier sample, l'intro de l'album, est un peu ironique. On voulait se foutre un peu de la gueule des régimes totalitaires, de leur magnifiscence... On voulait mettre un sample qui contraste avec le côté doom derrière. C'est un extrait de Poutine qui parle de démocratie.
Thomas "E.T.":
C'est l'ironie du truc. Commencer par Poutine, qui explique qu'il est élu démocratiquement, que son pays est un exemple de démocratie... Chose avec laquelle on n'est pas forcément d'accord, et on aimait bien ce texte pour ça.
Tarik "Sexual":
Sur le troisième morceau, c'est de l'arabe, un discours de Boumediène des années 70. Après ce n'est pas un discours, c'est Ederlezi, du Rom. Sur la Française des Jeunes, on a pris des extraits de l'émission Strip Tease.
Est-ce difficile de donner un sens politique à une musique instrumentale ou quasi instrumentale?
Yves "Chaos":
Bonne question... Nos premiers albums étaient vraiment instrumentaux. Là il y a plus de voix, plus de samples aussi, et finalement le sens se construit assez naturellement, du fait qu'il y ait de la voix, des paroles. C'est aussi une volonté, d'ajouter du sens.
Thomas "E.T.":
C'est un peu dur de dire quel est venu le premier, des samples ou du fond. Les samples étaient déjà là, on en avait mis sur les autres albums, des deux camps. Salvador Allende sur le premier album, un des premiers télé-évangélistes sur le deuxième album.... C'est peut-être la volonté de vouloir en mettre plus, et donc du coup de pouvoir raconter quelque chose, qui a amené à ce que tout ait du sens. On est arrivé à cet ensemble, on le décrit comme assez politique. On avait envie, en 2020, de sortir un truc marqué. On a toujours joué pas mal en squatt, on tourne sur des petits réseaux, on fait tout nous-même... On est vraiment sur ces trucs-là, ce qui est pour nous déjà une sorte d'engagement. Mais on a senti qu'il fallait en faire plus cette fois-ci.
Tarik "Sexual":
On a toujours eu cette sensibilité sous-jacente. Ca nous a permis de travailler le discours, un vrai message, pas que du ressenti. C'était une vraie volonté, ça a paru être le bon moment, on l'a exploité, sans pour autant que ce ne soit trop calculé.
Vos clips ne sont pas neutres. Parlez-nous du dernier sorti, "Asile".
Tarik "Sexual":
Pour les clips, on aime donner carte blanche aux gens qui nous entourent et qui font de la vidéo. Pour "Asile", c'est Romain Siergie qui a fait ce clip, qui a interprété ce qu'on voulait. On lui a demandé d'utiliser les images de son film, et son montage est très lié à son ressenti. Ca matchait bien avec ce qu'on voulait retranscrire. Les marginaux, ceux qui ne se sentent pas valorisés dans la société, qui vivent dans cet univers un peu apocalyptique, la précarité, la maladie psychiatrique, tout est là, ce montage colle bien avec les idées qu'on voulait transmettre.
Thomas "E.T.":
Ce ne sont que des gens qu'on connait bien qui font nos clips. On vient du même milieu, on savait que aussi bien esthétiquement que dans les messages passés ce serait des trucs qu'on partage. L'idée c'est de raconter l'humain, au milieu des machines, ou au centre des actions des dirigeants, dont on a très peu de contrôle mais dont on subit pleinement les conséquences.
Vous êtes en pleine répétition, dans une configuration orienté "scène". Comment vous allez vivre le retour sur scène?
Thomas "E.T.":
Franchement, j'y pense une heure tous les soirs. Il y a même une époque où on devait jouer au Mennecy Fest, ça a été annulé au tout dernier moment, je me souviens que les 3 semaines avant je n'arrivais plus à dormir tellement j'étais excité à l'idée de remonter sur scène ! Là on a une date en Suisse dans 2 mois, en conditions assises, c'est un repas... Je l'imagine comme la catharsis ultime ! Si ça se trouve le son sera dégeulasse, on ne s'entendra pas, on sera crevé... Mais ça sera génial !
Yves "Chaos":
On a envie de se retrouver dans une salle un peu suintante, avec des gens qui parlent tout près, mais ça ne sera sans doute pas le prochain concert !
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