Imaginons un pays où le rock crépusculaire de Nick Cave and the Bad Seeds ou de Grinderman jamme, sous des effluves alcoolisés, avec un Tom Waits très en verve. Le tout avec le rock jazz (et non jazz-rock) de Morphine, l’electro punk de Suicide ou le psychobilly des Cramps se tapant l’incruste au passage. C’est un peu ce que l’on retrouve sur A Mysterious Land Of Happiness…, premier album, et première partie d’un diptyque, de Broken Waltz, groupe qui revendique jouer du rock patibulaire. Un style méchamment plaisant.
Un visuel de pochette, avec ce poignard et cette rose plantés dans une main, évoquant un groupe de rock ou metal gothique, et ce style revendiqué : rock patibulaire. Broken Waltz a tout pour intriguer d’entrée. Patibulaire certes mais pas déplaisant de se faire chercher des noises par ce trio tellement sa musique possède d’atouts pour séduire. D’abord connu sous le nom Buck (une référence à Henry Chinaski ?) à partir de 2015 et ayant sorti un live et un album studio sous cette identité, l’entité s’est transformée en Broken Waltz en 2020 et propose avec A Mysterious Land Of Happiness… la première partie d’un diptyque. Le second volet … And Disasters doit sortir en avril 2021. Les musiciens, au nombre de trois incluant batterie et chant ainsi qu’une basse et un saxophone (auxquels vient parfois se greffer un chant féminin) revendiquent une base blues. Au final nous sommes plus proches de la conception qu’avait le regretté Jeffrey Lee Pierce (The Gun Club) du genre que des fameuses douze mesures réglementaires.
Soit une base boogie mais à laquelle viennent se greffer de façon habille d’autres influences. Le tout de façon patibulaire bien entendu. Ainsi l’introductif « Love And Apocalypse » et son ambiance de carrousel de fin du monde mêle sonorités industrielles et slide guit… bass (?) et impose une voix ténébreuse incantatoire évoquant Edward Ka-Spel (The Legendary Pink Dots). Bienvenue en la Terre du Bonheur. Vous voulez avoir l’impression d’entendre Tom Waits ivre mort en train de chanter un serment devant un public de séminaristes ivrognes (ça doit exister) ? Ecoutez « He Fell Down ». Ce même chant rocailleux se fait aussi entendre sur « The Devil Has a Bigger Heart » introduit par le sample d’un vieux programme radiophonique nous promettant de la musique pour danser. C’est chose faite, sauf que là on a l’impression que Waits et Suicide font subir, pour notre grand bonheur, les derniers outrages au « Green Onions » de Booker T. and the M.G.'s. Sur ces deux morceaux notons aussi l’usage très approprié du bouchon de bouteille que l’on fait sauter.
C’est à Nick Cave et toujours Tom Waits auxquels on pense aussi sur « Long Live The Bride », comme si les deux chanteurs étaient en train d’animer un mariage où la promise serait habillée en noir, forcément. L’ombre des Bad Seeds justement plane sur « Fresh News From The Other Side », une ballade crépusculaire bluesy mais où le chant de Clément Palant se fait proche de Blixa Bargeld. « Parade » quant à lui est un excellent titre bâti sur un rythme martial renvoyant à Coil et sur lequel on croirait entendre, surgis d’outre-tombe, la voix de Mark Sandman (Morphine) se mettre en duo avec Nico et son harmonium pour évoquer un défilé d’âmes perdues. C’est au Morphine de Cure For Pain ou Yes que fait justement penser le mélancolique « Wherever You Go » tandis que la basse de Xavier Soulabail évoque aussi celle de Sandman sur « Paris, 16 Feb 1939 ». Un morceau construit comme un spoken word durant lequel Aurélie Guillier nous narre de sa voix sensuelle une histoire située dans le Paris de la veille de la seconde guerre mondiale. Autre curiosité : les deux courts interludes « Hypocrite Part I and II » au groove hip hop qui dénoncent sous forme de rimes l’absurdité de notre époque. Citons aussi « Fuck The Guitar Player », un titre boutade qui tient lieu de manifeste non pas anti guitar hero mais évoque plutôt l’égo démesuré de certaines personnes. Une piste, aux accents fusion presque, où la basse groove à mort et où le saxophone de Pierrot Rault se montre hors de contrôle.
L’urgence punk se fait de même entendre parfois, comme sur « Facedown In The Dust » avec sa boite à rythmes évoquant Suicide une fois de plus, sa basse saturée et ses scratchs bienvenus. Un titre presque à la croisée des Cramps et Bauhaus. C’est sur l’éponyme « A Mysterious Land Of Happiness » que s’achève ce premier album de Broken Waltz, un morceau où l’ombre de Martin Rev et Alan Vega est très présente encore et où vers la fin nous pouvons entendre une ébauche de riff pouvant faire penser qu’il s’agit de la transition vers le deuxième volet du diptyque.
La question qui reste en tête après la traversée de cette Terre du Bonheur est de savoir comment sera celle du Désastre, réponse devrait être donnée au printemps prochain. En tout cas jamais aucune valse, même brisée, n’aura jamais eu autant de charme et d’élégance.
Liste des titres :
1. « Love And Apocalypse »
2. « The Devil Has a Bigger Heart »
3. « Fresh News From The Other Side »
4. « Hypocrite Part I »
5. « Long Live The Bride »
6. « Paris, 16 Feb 1939 »
7. « Parade »
8. « Fuck The Guitar Player »
9. « Hypocrite Part II »
10. « Facedown In The Dust »
11. « He Fell Down »
12. « Wherever You Go »
13. « A Mysterious Land Of Happiness »
Sorti le 13 novembre 2020 sur Beast Records / L’Autre Distribution