Dropkick Murphys, c’est avant tout des tournées quasi-permanentes de concerts qui sentent le pogo, la sueur et la bière. Avec la pandémie, le groupe se retrouve privé de son ADN. Pour consoler ses fans, il organise tout de même occasionnellement des live-streams, et sort un nouvel album, dans lequel il a plus que jamais des choses à dire sur l’état du monde.
Si Dropkick Murphys a évolué au fil des décennies d’un punk imprégné d’oï et de street punk underground vers un punk celtique plus accessible au grand public, la formation a toujours cherché à maintenir une identité sonore distinctive. Le chanteur et bassiste Ken Casey expliquait d’ailleurs il y a plusieurs années que l’objectif du groupe était probablement d’être « l’AC/DC du punk celtique ».
On sait donc qu’avec un nouvel album des Bostoniens, on avance en terrain connu. C’est d’autant plus vrai avec ce Turn Up That Dial que la moitié des chansons a déjà été dévoilée. Pourtant, il souffle sur ce nouvel opus un certain vent de fraicheur. Peut-être est-ce dû à une certaine légèreté que le groupe a voulu insuffler, après un 11 Short Stories Of Glory And Pain que le gang décrit comme plus grave et solennel et une année déprimante pour tout le monde.
A part le dernier titre, le poignant « I Wish You Were Here », les morceaux sont donc plutôt euphorisants, et l’album passe de mid-tempi en titres rapides, de chansons aux accents folk à des titres plus électriques sans que l’énergie ne faiblisse et sans donner l’impression de tourner en rond. Car si le groupe a tendance à recourir aux mêmes ingrédients d’un album à l’autre, ceux-ci sont suffisamment nombreux et le groupe arrive à les combiner de façon suffisamment variée pour maintenir l’intérêt. La voix rocailleuse d’Al Barr et celle plus écorchée de Ken Casey se répondent toujours avec enthousiasme, les chœurs abondent, laissant penser que ces chansons connaitront un franc succès en concert (« Turn up that Dial », « Mick Jones Nicked my Pudding », « Middle Finger », « Smash Shit up »…).
Les riffs de guitare de Tim Brennan et la batterie de Matt Kelly font toujours le travail sans fioriture, et les instruments acoustiques se relaient d’un morceau à l’autre, confortant l’identité musicale du groupe tout en apportant une certaine variation, de l’accordéon (« Smash Shit up ») et la flûte (« HBDMF », « Chosen Few », « City by the Sea », « I Wish You Were Here ») de Brennan à la guitare acoustique, le banjo (« Queen of Suffolk Country »,) et la mandoline (« Turn up that Dial ») de Jeff DaRosa en passant par la cornemuse (« Good as Gold », « Chosen Few »). Aucun hit aussi imparable que « I’m Shipping up to Boston », mais des titres solides qui restent en tête après quelques écoutes et qu’on a envie de hurler partout.
Surtout, le groupe est toujours capable de raconter dans ses textes aussi bien des histoires singulières que des considérations plus générales sur la société, les deux se rejoignant souvent. Et dans cet album, Dropkick Murphys le fait souvent avec énormément d’humour et de recul sur ses personnages et ses situations. Le texte le plus marquant est assurément celui de « Chosen Few ». A l’origine une chanson gentiment moqueuse sur le microcosme des célébrités bostoniennes, elle a été complètement réécrite à l’exception du refrain pour devenir une description au vitriol non seulement de la gestion de la pandémie de covid-19 par Trump (« le gars au pouvoir disait que c’était juste une grippe de plus »), mais aussi peut-être de la position actuelle des Etats-Unis dans le monde. Ken Casey et Al Barr y chantent en effet que les Etats-Unis sont arrivés au sommet et sont sur le point de sombrer, le reste du monde leur accordant de moins en moins de crédit (« Nous étions des héros, maintenant nous sommes des déchets »), peut-être pas complètement à tort, selon les deux frontmen (« peut-on leur reprocher de penser qu’on craint ? » quand on voit « ce comportement de Texan Républicain ? »). Et ils taclent au passage cette société où « tout le monde parle de plus en plus fort pour être sûr d’être entendu », une dérive de plus en plus présente dans le débat public, symptôme peut-être d’un certain nombrilisme également épinglé dans « HBDMF » (« Arrête de poster des photos et des vidéos de toi parce que tu te crois si photogénique »).
Mais s’il pointe du doigt certains comportements et affiche crument sa désillusion envers le politique, le groupe croit toujours en une certaine force collective, issue de la rue, et célèbre dans le titre d’ouverture la puissance des rassemblements populaires et, au détour d’une phrase, de la culture et la musique qui portent les espoirs et soutiennent en des temps difficiles. En cette période, telle constatation universelle, qui parcourt l'ensemble du disque, trouve un écho particulier.
Le groupe reprend aussi ses archétypes familiers de personnages durs à cuire qui ne se laissent pas faire et vont volontiers chercher les embrouilles (« Queen of Suffolk County », « L-EE B-O-Y »), tout en offrant un certain recul sur des comportements poussés à leur paroxysme. Ainsi, le personnage de « Middle Finger », qui se rebelle contre tout et ne peut s’empêcher d’enfreindre les règles même sans raison est clairement présenté comme un crétin. Pourtant, celui de « Smash Shit up » (le même vingt ans plus tard ?) semble lui répondre directement avec une certaine mélancolie détachée, disant qu’une vie plus rangée est agréable, mais que malgré tout, la vie de hors-la-loi fauché toujours dans les ennuis lui manquent. Une chanson qui parlera peut-être à Mick Jones, l’ancien bassiste des Clash étant accusé dans une autre chanson assez drôle d’avoir volé les desserts du producteur du groupe dans un studio d’enregistrement il y a des années (on sait donc enfin pourquoi les Clash avaient la police sur le dos).
De saillies ironiques en élans de nostalgie, d’anecdotes croustillantes en considérations politiques, Dropkick Murphy signe donc un album jouissif, hommage à la musique et aux musiciens, qui devient de plus en plus addictif au fil des écoutes. Il s’adresse clairement aux fans, en ce qu’il ne révolutionne pas la formule chère au gang du Massachussetts. Mais il l’applique avec un enthousiasme auquel il est difficile de résister, et fait d’autant plus languir du retour des concerts.
Tracklist
1. Turn Up That Dial 03:43
2. L-EE-B-O-Y 03:24
3. Middle Finger 02:36
4. Queen of Suffolk County 03:52
5. Mick Jones Nicked My Pudding 02:38
6. HBDMF 04:08
7. Good As Gold 03:21
8. Smash Shit Up 03:48
9. Chosen Few 03:32
10. City By The Sea 03:47
11. Wish You Were Here 04:23
Sortie le 30 avril 2021 chez Born And Bred Records