Rise Against – Nowhere Generation

Fers de lance de la vague punk mélo du début des années 2000, aux côtés d’Anti-Flag, Against Me !, Billy Talent et consorts, les punks de Chicago reviennent sur le devant de la scène, quatre ans après le dispensable Wolves. Si Nowhere Generation ne révolutionne pas le son des Américains, il marque un regain d’inspiration et comme une authenticité retrouvée.

En vingt ans et huit albums, Rise Against s’est construit un son identifiable, porté notamment par la voix reconnaissable entre toutes de Tim McIlrath. Le groupe est aussi passé d’influences hardcore mélodiques très marquées à des compositions plus mainstream – et plus fades, sur les toutes dernières sorties. Le meilleur album des Américains ces dix dernières années est probablement Long Forgotten Songs en 2013, compilation de faces B et de reprises datant essentiellement de la décennie 2000, alors, si l’annonce de la sortie d’un nouvel opus du groupe suscitait un intérêt certain, celui-ci était aussi fortement teinté de crainte.

Pourtant, la situation mondiale, pour délétère qu’elle soit, avait de quoi donner de l’espoir pour le groupe, car celui-ci n’est jamais aussi percutant que quand il s’attaque aux problèmes politiques et sociaux au sens large du terme. Et en effet, si Rise Against a écrit Nowhere Generation avant la pandémie, l’inspiration est bien présente et les thèmes abordés plus que jamais d’actualité. Le titre de l’album, qui emprunte son nom à l’un des morceaux et singles, donne le ton. La majorité des chansons aborde des sujets sociaux, politiques et économiques, comme souvent, essentiellement l’explosion du rêve américain, les inégalités qui se creusent, l’ascension sociale de plus en plus compliquée et la confiscation par une minorité des postes d’influences. Des sujets déjà largement abordés par le groupe dans ses travaux précédents, mais il choisit ici de se focaliser sur l’expérience vécue par les plus jeunes générations, encore plus précarisées, à l’avenir encore plus incertain, et qui risquent encore plus que les précédentes de ne pas accéder au même niveau de vie que leurs parents.

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Le constat est donc sombre, cela s’entend dans la majorité des morceaux, entre autres dans «  Broken Dreams », au titre explicite, où McIlrath fustige au passage cette tendance à qualifier toute évolution de progrès, sans possibilité de critique, même quand il s’agit en réalité d’un retour en arrière ou d’une dégradation des conditions de vie et de travail. Sa voix est plus expressive que jamais, son timbre caractéristique fait ressentir toutes les fêlures, toute la tristesse et le désespoir écorché qu’il incarne. C’est par exemple très palpable sur le début de « Sooner or Later », (qui offre plus tard un passage de scream auquel le chanteur ne nous avait plus habitués depuis les premiers albums) mais en réalité, c’est une constante sur l’ensemble des morceaux. La section rythmique (Joe Principe à la basse et Brandon Barnes à la batterie) sonne quant à elle revigorée, plus marquée, plus agressive et en même temps plus lourde (sur « Sudden Urge » ou « The Numbers » par exemple, mais là encore cela s'entend tout au long de l’album). Quant aux guitares (Zach Blair pour le lead et Tim McIlrath à la rythmique), toujours très mélodiques, elles sont plus tranchantes (on peut citer les riffs de « Monarch », mais une fois de plus le travail est constant sur la globalité des morceaux).

Le groupe affiche donc un mordant et une authenticité retrouvées, après deux albums plutôt fades et surproduits, The Black Market et surtout Wolves. Ce dernier était d'ailleurs l’un des rares disques de Rise Against à ne pas avoir été produit par le producteur de toujours Bill Stevenson, lequel a eu la bonne idée de revenir pour Nowhere Generation. Alors, certes, quand on parle ici d’agressivité, tout est affaire de relativité, les sonorités hardcore des débuts sont bien loin, tout est on ne peut plus mélodieux et le son reste extrêmement propre, néanmoins le mix donne plus de place aux instruments pour exprimer une certaine hargne. Même sur des morceaux qui pourraient sombrer dans la guimauve, comme la ballade « Forfeit », l’interprétation à fleur de peau et l’instrumentation dépouillée de guitares sèches et de cordes donnent un éclat brut inattendu.

Pour autant, Nowhere Generations est loin d’être un cri du désespoir, et si l’authenticité du groupe porte ses inquiétudes et ses constats amers, elle se retrouve aussi dans son envie intacte de se battre et dans sa capacité à faire ressortir l’espoir même dans les situations critiques. Et musicalement, là aussi, l’intention des paroles est parfaitement retranscrite, d’abord avec les riffs de guitare qui savent se faire combatifs, avec les mélodies souvent en mode majeur et accrocheuses qui incitent plutôt à l’optimisme et avec des chœurs très présents, qui semblent n’attendre qu’une foule remontée à bloc pour être entonnés à tue-tête. Le titre qui clôt l’album, « Rules of Play », malgré des paroles à première vue défaitistes (« La vie est un jeu que je ne sais pas comment jouer ») suinte ainsi l’optimisme musicalement.

Ces deux tendances ne s’opposent pas mais forment un tout cohérent : les paroles d’un même morceau portent souvent à la fois la désillusion et l’acharnement à continuer le combat. Cela s’entend par exemple sur le titre éponyme. La « Nowhere Generation », « génération nulle part », décrite ici, est rejetée par le système l’entourant (« Nous sommes la génération nulle part, nous sommes les enfants dont personne ne veut »), qu’elle rejette à son tour (« nous ne sommes pas les noms que vous nous avez donnés, nous parlons une langue que vous ne comprenez pas »). Pourtant, ce constat accablant se mue en une volonté implacable de renverser l’ordre établi (« nous sommes une menace crédible pour les règles que vous avez établies » / « un jour tous les murs tomberont » / « plus nous attendrons, plus nous irons loin »). Cela vaut aussi pour le premier titre « The Numbers », qui explique que quand une situation délétère s’installe, c’est aussi que le peuple laisse faire, mais qu’il a souvent les moyens d’y remédier. Musicalement, c’est particulièrement frappant sur « Sooner or Later », avec une introduction lente, triste, en mode mineur, qui enchaine sur un premier couplet en mid tempo, sombre, grave, avant de gagner en énergie sur le pré-refrain pour offrir un refrain plus joyeux, malgré des paroles guères réjouissantes, et des couplets suivants plus énergiques.

Alors évidemment, Rise Against ne se réinvente pas lui-même, et n’atteint pas les sommets de The Sufferer And The Witness. S’il reste sur un punk rock mélodique très direct, le groupe semble s’être retrouvé lui-même, et ça fait un bien fou après les deux albums précédents. Que des quadragénaires soient capables d’exprimer des préoccupations de générations plus jeunes avec empathie mais sans en faire des caisses illustre bien cette fraicheur retrouvée. En cette période où la lassitude et la résignation étendent plus facilement leurs griffes sur nous, Nowhere Generation peut contribuer à redonner l’envie de se battre.

Tracklist
01. The Numbers
02. Sudden Urge
03. Nowhere Generation
04. Talking to Ourselves
05. Broken Dreams, Inc.
06. Forfeit
07. Monarch
08. Sounds Like
09. Sooner or Later
10. Middle of a Dream
11. Rules of Play

Sortie le 4 juin chez Loma Vista Recordings

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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